L’heure est à de nouvelles approches dans la politique du cannabis
Déc.. 2023Politique du cannabis – comment aller de l’avant?
l’éditorial. L’interdiction du cannabis utilisé à des fins non médicales n’a permis ni d’en réduire la consommation ni d’améliorer la protection de la santé publique. Le Conseil fédéral appelle à poursuivre sa politique du cannabis fondée sur des preuves : il invite à fixer des conditions strictes en vue d’une distribution légale, afin d’éviter la commercialisation à tout crin du cannabis et la promotion de sa consommation.
Insatisfaisant – tel est souvent le bilan tiré de la gestion du cannabis par la Suisse. Des acteurs de différents domaines se rallient à cette conclusion : milieux scientifiques, autorités sanitaires, justice et spécialistes des addictions. Le Conseil fédéral partage également ce point de vue.
La situation est insatisfaisante à plusieurs égards. Bien que le cannabis avec un taux de THC de 1% (et plus) reste interdit en Suisse, sa consommation stagne à un niveau élevé. Elle est surtout répandue chez les adolescents et les jeunes adultes. Or, bien qu’il s’agisse de la tranche d’âge la plus à risque, ces personnes peuvent acheter sans problème des produits à base de cannabis sur le marché noir. Par ailleurs, l’interdiction criminalise aussi les adultes ayant une consommation à faible risque.
Le marché noir comporte des risques pour la santé des consommateurs. Ainsi, les échantillons saisis révèlent que le cannabis est susceptible d’être contaminé par des métaux lourds, des moisissures ou des diluants. De plus, les consommateurs ne peuvent jamais être sûrs de la quantité de THC contenue dans un produit.
Alors que la vente illégale de cannabis génère à l’abri du fisc un chiffre d’affaires conséquent, de plus d’un demi-milliard de francs par an, la société doit prendre en charge les coûts de sa consommation. Et les poursuites pénales mobilisent les ressources de la police et de la justice.
Alors que la vente illégale de cannabis génère à l’abri du fisc un chiffre d’affaires conséquent, de plus d’un demi-milliard de francs par an, la société doit prendre en charge les coûts de sa consommation.
L’éventail de la réglementation des stupéfiants va de l’interdiction sans mesures de protection de la santé au marché légal non réglementé. Les coûts sociaux et sanitaires sont les plus élevés dans les deux pôles avec un marché non réglementé. Voir le graphique
Imbroglio juridique
Autre sujet d’insatisfaction, la situation juridique conduit à des divergences d’interprétation et peut s’avérer difficile à suivre. Par exemple, alors que certains cantons ne punissent depuis longtemps que la consommation de cannabis au moyen d’une amende d’ordre de 100 francs, ailleurs la possession d’une quantité minime de cette substance était récemment encore passible d’amende. Il a fallu que le Tribunal fédéral décide en 2017 que la simple possession de dix grammes de cannabis au maximum pour sa propre consommation ne constitue pas une infraction punissable par une amende.
En 2023, le Tribunal fédéral a statué dans un autre arrêt qu’une quantité minime de cannabis ne peut être saisie par la police si elle n’est pas consommée. Le fait qu’une substance toujours interdite ne puisse plus être confisquée a toutefois suscité l’incompréhension dans les milieux policiers.
En principe, les produits à base de chanvre dont la teneur en THC est inférieure à 1 % sont légaux en Suisse. Le cannabidiol (CBD), commercialisé depuis 2016 par des producteurs ingénieux sous forme de cannabis « light », en fait partie. S’il est possible de fumer le chanvre CBD en tant que substitut du tabac, les gouttes de CBD, plus populaires au- près du public et potentiellement moins nocives, ont besoin d’une autorisation soit en tant que nouvel aliment, soit en tant que produit thérapeutique quand elles sont destinées à être ingérées. Afin de contourner les obstacles élevés liés à l’octroi de telles autorisations, certains fabricants ont dès lors mis leurs produits CBD sur le marché sous forme d’huile parfumée ou de matière première sans destination particulière – bien que les produits soient ensuite souvent avalés. Or, des pratiques disparates existent au niveau cantonal face aux fausses publicités pour les produits à base de chanvre.
Le Parlement a admis la nécessité d’agir
La situation juridique parfois embrouillée et les pratiques cantonales hétérogènes ont amené le conseiller aux États Thomas Minder à déposer le postulat « Production, commerce et consommation de produits à base de chanvre ou cannabis. Assurer la sécurité du droit », qui a été transmis au Conseil fédéral. Ce dernier a adopté en novembre 2023 le rapport correspondant, qui conclut qu’une loi complète sur le chanvre, englobant toutes ses utilisations possibles, ne serait pas utile attendu que les lois en vigueur règlent déjà l’utilisation des extraits de chanvre.
Selon ce rapport, le vrai défi n’est pas tant l’insécurité juridique quant à l’utilisation faite du chanvre que l’absence d’une catégorie de produits accessibles à des fins purement « récréatives ». On y trouverait aussi bien des produits pauvres en THC que des produits contenant du THC et destinés à la consommation récréative.
Le Parlement suisse a reconnu la nécessité d’agir et adopté en septembre 2020 une base légale pour la réalisation d’essais pilotes impliquant du cannabis récréatif. Ces études limitées dans le temps pourront contribuer au développement d’une régulation du cannabis adaptée à la Suisse. L’initiative parlementaire de Heinz Siegenthaler « Réguler le marché du cannabis pour mieux protéger la jeunesse et les consommateurs » va plus loin encore. Elle demande d’adopter une loi définitive instaurant un marché légal du cannabis. En 2021, les commissions de la sécurité sociale et de la santé publique des deux Chambres sont entrées en matière sur cette demande, et le projet législatif correspondant est en cours d’élaboration.
Opportunité d’une réglementation ciblée
Dans la perspective des travaux parlementaires visant à réglementer un marché légal du cannabis, le Conseil fédéral a indiqué dans son rapport comment un tel projet pourrait être mené à bien. À cet effet, il s’appuie aussi sur les expériences internationales en matière de réglementation des stupéfiants. L’éventail va d’une prohibition stricte, avec un marché noir incon-trôlé, à un marché largement libéralisé sans mesures efficaces de protection de la santé (voir graphique). Entre ces deux extrêmes problématiques, des approches de dépénalisation, de vente à but non lucratif et de réglementation stricte du marché ont fait leurs preuves à l’étranger.
Bien que les essais pilotes n’aient pas encore livré de données en Suisse et qu’au niveau international les expériences réalisées avec les marchés légaux du cannabis restent rares, d’importants enseignements peuvent néanmoins être tirés de la réglementation du tabac et de l’alcool: la façon la plus efficace de réduire la consommation de substances addictives consiste à majorer le prix des produits, en prélevant des taxes d’incitation. Viennent ensuite les mesures de protection contre le tabagisme passif, les interdictions de publicité, les restrictions de disponibilité, ou encore la réglementation de la qualité des produits pour protéger les consommateurs.
Fort de ces connaissances, le Conseil fédéral se prononce en faveur d’une nouvelle réglementation du cannabis fondée sur des preuves et axée sur la santé publique. Il rappelle encore que le cannabis ne doit pas être banalisé. Il est vrai qu’en cas de consommation sporadique, les risques pour la santé sont plutôt faibles par rapport à d’autres substances psychoactives. La probabilité de maladies psychiques (par exemple de dépressions ou de troubles anxieux) ou d'une dépendance psychique augmente toutefois en cas de consommation élevée et prolongée. Les jeunes surtout sont menacés. Aussi la protection de la jeunesse est-elle une priorité du Conseil fédéral.
Par ailleurs, fumer du cannabis accroît le risque de maladies respiratoires. Un accès contrôlé et légal au cannabis permettrait de mieux informer les consommateurs à ce sujet et de réduire les risques encourus. Dans ce contexte, le cannabis ne devrait être ni encouragé ni commercialisé à outrance. Le rapport du Conseil fédéral recommande donc d’organiser une vente légale de cannabis à but non lucratif.
Définition du cannabis sativa
Cannabis sativa est le nom botanique de la plante appelée chanvre. Dans la pratique, on distingue entre le chanvre utilitaire, pauvre en THC, destiné à la production de graines de chanvre et d’huile comestible ou de fibres végétales, le chanvre à fleurs pauvre en THC, destiné à la production d’arômes ou à la fabrication de substituts du tabac (généralement à forte teneur en CBD) et le chanvre à drogue ou chanvre médicinal contenant du THC, qui est également utilisé pour la fabrication de médicaments.
Définition juridique ou botanique
Alors que botaniquement parlant, le chanvre et le cannabis désignent la même plante, la législation sur les stupéfiants ne considère comme cannabis que le chanvre qui contient 1 % ou plus de THC.
Quellen
rapport en réponse au postulat Minder